Gazoduc Nord Stream 2 : comprendre les enjeux géopolitiques

Le gaz est actuellement la troisième source d’énergie la plus utilisée au monde, après le pétrole et le charbon. Toutefois, il devrait bientôt dépasser les deux autres énergies fossiles en raison d’émissions de CO2 plus faibles. Le gaz est donc l’une des options envisagées pour mener à bien la transition énergétique. Dans ce contexte, les pays producteurs de gaz sont en position de force sur le plan international. La Russie le sait, l’Allemagne le craint. Et l’Ukraine cherche à freiner la progression russe.

Nord Stream 2
Nord Stream 2

Gazoduc Nord Stream 2 : c’est quoi ?

Le Gazoduc Nord Stream 2 est un système d’acheminement de gaz naturel entre la Russie et l’Allemagne. Lancé en 2018, le projet visait à doubler le volume de gaz pouvant être importé depuis la Fédération de Russie (de 55 milliards à 110 milliards de mètres cubes par an). Le nouveau pipeline permettrait ainsi d’assurer l’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel, selon Angela Merkel, chancelière allemande à l’époque.

Le parcours du gazoduc suit techniquement le tracé du Gazoduc Nord Stream 1 qui fournit déjà 55 % du gaz allemand depuis 2012. Mesurant 1 230 km de long, le nouveau pipeline part d’Oust-Louga (Russie), passe sous la mer Baltique et finit à Greifswald (Allemagne). Le projet a coûté près de 10 milliards d’euros au géant russe Gazprom et à plusieurs entreprises européennes (Shell, Engie, OMV, Uniper, Wintershall…).

En 2019, les travaux du Gazoduc Nord Stream 2 ont été interrompus à cause des sanctions américaines pesant sur les financeurs européens. Les États-Unis étaient d’ailleurs opposés au projet dès le départ. L’administration Trump craignait en effet l’impact de cette forte hausse de l’importation de gaz russe sur l’écosystème européen. Pour rappel, la Russie est le second fournisseur mondial de gaz, après les États-Unis.

La construction du pipeline a finalement repris en 2021 et s’est achevée en septembre de la même année. À ce stade, l’Europe avait les moyens de répondre aux besoins en matière de gaz sur son territoire. La demande devrait effectivement augmenter de 120 milliards de mètres cubes d’ici à 2035, selon les analystes. Toutefois, le nouvel exécutif allemand a suspendu la certification du gazoduc pour désamorcer le conflit russo-ukrainien.

Pour le nouveau chancelier Olaf Scholz, le Gazoduc Nord Stream 2 représentait un bon moyen de dissuasion contre l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement allemand actuel craint par ailleurs les conséquences de l’augmentation de la dépendance énergétique à la Russie. De plus, le nouveau pipeline concentre l’approvisionnement de gaz de l’Allemagne sur un seul parcours. Le pays devient donc plus vulnérable.

En décembre 2021, les États-Unis ont soutenu l’usage du nouveau gazoduc comme moyen de pression contre la Russie. La Communauté internationale est en effet consciente de l’importance du Gazoduc Nord Stream 2 pour l’économie russe. Ainsi, l’arrêt des vannes aurait pu dissuader Vladimir Poutine d’attaquer l’Ukraine. Malgré tout, la Russie est entrée en conflit armé avec son voisin. L’Allemagne a alors suspendu la mise en service du gazoduc pour une durée indéterminée. De ce fait, Nord Stream 2 S.A a déposé le bilan en mars 2022. Il s’agit d’un coup dur pour l’approvisionnement en gaz de l’UE et les sociétés européennes impliquées dans ce projet.

Yamal-Europe
Yamal-Europe

Pourquoi l’Ukraine est contre le Gazoduc Nord Stream 2 ?

L’Allemagne importe du gaz russe via plusieurs gazoducs, notamment le Gazoduc Nord Stream 1, Yamal-Europe et Brotherhood. Ces deux derniers passent par la voie terrestre et traversent différents territoires, incluant la Biélorussie, la Pologne et l’Ukraine. Le Gazoduc Nord Stream privilégie, en revanche, la voie sous-marine à travers la Baltique. Ce tracé permet donc à Gazprom de réduire les frais de transit pour ses exportations de gaz.

Avec le Gazoduc Nord Stream 2, la Russie a la possibilité de doubler ses ventes et d’éviter de payer des taxes aux pays frontaliers. Elle peut même envisager de fermer les autres gazoducs terrestres. Dans ce cas, l’Ukraine cesserait de toucher les droits de transit de Brotherhood. Cette source de revenus est pourtant non négligeable pour le pays. En effet, elle représente chaque année près de 1,5 milliard de dollars. Les États-Unis et l’Allemagne ont néanmoins garanti l’utilisation du gazoduc pour au moins dix ans.

Au-delà des questions financières, l’Ukraine risquait également de perdre un levier diplomatique contre son voisin russe en cas d’arrêt de Brotherhood. Le pays pouvait auparavant menacer la Russie de bloquer le transit de gaz au cours de négociations. Dès la mise en service du Gazoduc Nord Stream 2, l’État ukrainien n’aurait plus aucun moyen de pression contre Moscou.

D’autre part, la Russie et l’Ukraine entretiennent une relation conflictuelle depuis plusieurs décennies. La tension diplomatique n’est pas pour autant injustifiée. Cela dit, le Nord Stream 2 augmentera nécessairement l’influence économique et politique de la Russie. Les États-Unis redoutaient d’ailleurs cette situation depuis le début du projet qui menaçait la sécurité énergétique et la souveraineté européenne.

En cas de gain de puissance de la Russie, l’Union européenne aura des difficultés à sanctionner ses agissements. Ce nouveau rapport des forces est particulièrement défavorable à l’Ukraine. En effet, le pays a déjà assisté impuissant à l’annexion de la Crimée en 2014, malgré les menaces de la Communauté internationale. L’Ukraine risque donc d’être à la merci de Moscou, si l’UE craint des représailles énergétiques.

Après la fin des travaux, le gouvernement ukrainien a insisté sur son opposition au projet du Gazoduc Nord Stream 2. Il s’agissait également d’une manière d’attirer l’attention sur la mobilisation d’une centaine de milliers de soldats russes le long de ses frontières. Face à cette situation, l’Europe s’est servie du nouveau gazoduc comme moyen de dissuasion contre une éventuelle invasion du Donbass.

En février 2022, la Russie a officiellement reconnu l’indépendance de deux régions séparatistes de l’Ukraine, le Donetsk et Lougansk. Elle a ensuite dépêché ses troupes sur place pour protéger ces républiques de la répression ukrainienne. Cette déclaration a immédiatement coupé les discussions entre Kiev et Moscou. L’invasion russe a aussi déclenché l’application de sanctions économiques contre la Russie.

Les mesures en question incluent le blocage de la mise en service du nouveau gazoduc Nord Stream. Dans ce contexte, l’État ukrainien reste logiquement opposé à l’utilisation de ce pipeline. Il est toutefois occupé à combattre un voisin disposant d’un budget militaire dix fois supérieur à ses 5 milliards de dollars. De leur côté, les membres de l’UE découvrent à leurs dépens l’ampleur prise par le gaz russe sur le continent. En somme, le projet Nord Stream 2 semble définitivement compromis.

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